« La gouvernance et une meilleure allocation des ressources doivent être à la base d’une politique de développement humain durable et pérenne »
Pouvez-vous nous présenter un rapide bilan de l’Initiative Nationale de Développement Humain menée au Maroc à date d’aujourd’hui ?
Avant de parler du bilan de l’INDH, il faut en rappeler les objectifs essentiels, parmi lesquels, certains peuvent être évalués, et d’autres marquent le chemin restant à parcourir.
L’Initiative avait comme objectifs principaux, sur 450 communes rurales et 240 quartiers urbains, de :
-Lutter contre la pauvreté dans le milieu rural.
-Lutter contre l’exclusion sociale en milieu urbain.
-Lutter contre la précarité, de manière générale.
Les évaluations à mener sont de deux types, en fonction des données disponibles :
– celles se basant sur les données techniques de réalisation et d’utilisation des budgets qui ont été possibles aujourd’hui,
– celles qui concernent l’impact sur les populations concernées, ne peuvent être entreprises qu’après la fin de cette première phase de l’initiative à savoir fin 2011.
Il faut rappeler que l’INDH sort du cadre des programmes et stratégies sectorielles et dispose d’une autonomie budgétaire. Elle est financée par une dotation publique et des apports de différents partenaires dont les associations, les collectivités locales, voir les personnes porteuses de projets. Elle sert ainsi de bras de levier.
Un autre objectif et non des moindres était de développer une gouvernance participative entre les autorités, les élus et les associations. L’idée sous-jacente étant que ces trois ensembles puissent contribuer à une gestion optimale de l’INDH, et s’approprient la démarche et les projets.
D’un point de vue technique, le process est maîtrisé et le bras de levier financier attendu de la part des autres partenaires autres que l’Etat a marché, avec plus de 40% des financements.
Le montant des transferts de ressources vers les communes et les quartiers défavorisés a atteint 0,3% du P.I.B en 2008, l’apport direct à la population des sommes transférées, est lui-même, difficile à évaluer.
Comme dit plus haut, l’impact global de l’Initiative de Développement Humain sera mesuré à partir de fin 2011. Nous avons démarré les travaux préliminaires de préparation des outils de mesure et de définition des critères d’évaluation.
Quelles sont les axes de travail à développer pour pouvoir atteindre les objectifs réalisés ?
L’INDH est un processus vivant qui peut évoluer et être soumis à des analyses qui peuvent aboutir à des corrections sur certains points :
-le ciblage : Biais possibles entre ciblages statistiques et réalités du terrain.
-les dotations : Leur montant ne tenait pas toujours compte ni de l’importance de la population réelle, ni du taux de pauvreté.
-Les activités Génératrices de Revenus (A.G.R) : Leur poids (7-8% des budgets programmés) reste marginal par rapport au reste des projets. Les projets liés au développement des AGR émanaient souvent de la société civile, et n’ont, malheureusement, pas eu la priorité qu’ils méritaient.
-Les contributions des communes : 24% seulement des budgets de l’INDH, dans le rural, par exemple. Les communes n’assumaient, souvent, pas la maîtrise d’œuvre des projets, ce qui pose, irrémédiablement, la question de la maintenance et de l’entretien des équipements financés et aménagés. L’engagement des élus dans le cadre de l’INDH est critique, notamment dans le contexte du débat sur la Régionalisation.
-La gestion des projets : Les audits et contrôles réalisés par l’Inspection des Finances et l’inspection générale du ministère de l’Intérieur relèvent très peu de dysfonctionnements mais une gestion plutôt rigoureuse des fonds.
-L’intégration opérationnelle : Il faudrait coordonner entre les plans de développement communaux à moyen-terme et l’Initiative Nationale de Développement Humain, avec un souci d’intégration et d’harmonisation.
-La coordination : Les différents acteurs et secteurs concernés par l’INDH devraient renforcer leur communication pour un meilleur déploiement de leurs plans d’actions.
Vous êtes vous-même un homme d’enseignement : Quelles pistes à explorer pour former les talents de demain et capitaliser sur le facteur humain ?
Le facteur humain est la colonne vertébrale de tout développement socio-économique. La formation doit être comprise comme un facteur contributeur au progrès. Dans la conception des programmes de formation, il faut essayer d’inverser la réflexion en imaginant un Maroc démocratique qui s’intègre dans le courant d’évolution mondial. Cette évolution, nous le savons, nous imposera des valeurs nouvelles et des contraintes fortes qui dessineront le monde de demain.
Poser ce postulat amène à s’interroger sur les talents nécessaires à la réussite de tout un chacun dans ce monde à venir. Ces talents sont ceux qui doivent aider le Maroc à combler le fossé avec les pays développés tout en veillant au développement durable du pays, où les principes universels s’appliqueront à chacun dans le respect des valeurs locales.
Réussir ce défi suppose de travailler sur trois champs : celui des valeurs, celui de la connaissance et celui des langues. Ce dernier est capital dans le monde d’aujourd’hui et encore plus dans celui de demain. Nous sommes dans un monde de communication où les interactions avec l’étranger sont permanentes et de plus en plus déterminantes.
Le Maroc a besoin de Savoir, tant au niveau des connaissances techniques que des connaissances humaines. Et se poser la question de l’Education, c’est s’en poser deux autres : Quoi former ? Combien former ?
Dès lors, répondre à la question de l’Education doit résulter d’un processus interactions multiples avec le terrain : favorisant des entreprises, élus, syndicats et société civile, et ce, afin de tenir compte à la fois de l’environnement socio-économique, culturel et géographique, des évolutions des métiers et des secteurs d’activité, mais également des spécificités locales et des opportunités.
Je voudrais, en relation avec les défis de l’Education au Maroc, citer Piaget, « Tout ce qu’on apprend aux enfants, on les empêche de le découvrir ». Cela pose le problème des méthodes pédagogiques. Par ailleurs, l’accent doit être mis sur les Sciences, les Technologies, l’Ingénierie et les Mathématiques. Cet ensemble de matières permet de développer la curiosité, l’intelligence et les capacités à s’adapter à d’autres cadres de formation et aux métiers d’avenir.
Par ailleurs, des hommes en société ne seraient rien sans valeurs. Nos enfants doivent être sensibilisés très tôt à la tolérance, au civisme, à l’esprit collectif, au sens de la responsabilité, au respect de l’autre….
Le capital social d’un pays est la capacité des individus à œuvrer ensemble pour réussir un projet, loin des divisions à caractère ethniques, idéologiques ou religieuses, c’est un impératif de réussite.
Enfin, dans un monde où le poids démographique du Maroc est insignifiant et son poids économique faible, toute politique qui n’intégrera pas le pays dans l’économie mondiale conduira à un repli suicidaire. Or, faire partie de la nouvelle économie, c’est donner une priorité absolue au savoir et à l’intégration dans des ensembles régionaux forts. Cela impose une appropriation parfaite des langues étrangères porteuses et universelles, pour d’un part avoir accès au savoir et à la culture universelle et d’autre part pour communiquer avec les marchés porteurs. Si la Chine pèse et pèsera par un poids économique et démographique, l’anglais grâce à l’apport de l’Inde (poids démographique et économique également), restera une langue clef. Face aux puissances traditionnelles et à l’émergence des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), il est essentiel de se tourner vers l’enseignement des langues étrangères et leur appropriation comme outils d’accès à la connaissance et des outils de progrès.
La perte spectaculaire du niveau d’enseignement des langues au Maroc est d’ailleurs concomitante à la perte de qualité de l’enseignement, dans sa globalité. L’apprentissage des langues est une richesse sur laquelle il est nécessaire de capitaliser pour préparer l’avenir.
En conclusion, le Maroc jouera son avenir sur sa capacité à regarder les choses en face par rapport à la réalité des faits et à résoudre toutes les équations, qui se posent à lui aujourd’hui : la bonne gouvernance et une meilleure allocation des ressources, associés à une vision de l’avenir et à un choix raisonné des priorités doivent être à la base d’une politique de développement humain durable et pérenne.
Président de l’Observatoire National du Développement Humain et Vice-Président Exécutif de MAScIR
Rachid Benmokhtar Benabdellah est le Président de l’Observatoire National du Développement Humain organe indépendant placé auprès du Premier Ministre, ayant pour mission l’évaluation des politiques publiques en matière de Développement Humain.
Il est également Vice-Président de la Fondation MAScIR, entité publique chargée du développement de la recherche avancée et du développement de technologie nouvelle.
Ingénieur de l’institut supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace de Toulouse, il est également ancien élève de l’international Institute For Management Development (IMD suisse)
Il a travaillé pour des multinationales et a créé avec des partenaires ingénieurs plusieurs entreprises avant d’être nommé en 1995, par Feu le Roi Hassan II au poste de Ministre de l’Education Nationale et en Juin 1998, Président de l’Université Al Akhayawne.
Rachid benmokhtar Benabdellah est membre de l’Académie Hassan II des Sciences et Techniques, il a également présidé la commission scientifique chargée du Rapport de cinquantenaire sur le Développement Humain, membre du Conseil Economique et Sociale.
Il est également membre du conseil d’Administration de la Fondation des trois cultures et de la Fondation du Roi Abdul Aziz Al Saoud pour les Etudes Islamiques et les Sciences Humaines.
Il a été membre du conseil consultatif du World Bank Institute, un des 24 experts en Administration publique de la commission économique et sociale des Nations Unies, un des 15 experts chargés de l’évaluation des programmes scientifiques de l’UNESCO.
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