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Développement des énergies solaires Au Maroc : Quel Impact sur la création d’emplois ?

Au mois de novembre 2009, notre pays s’est lancé dans une stratégie énergétique avant-gardiste et ambitieuse. Tout le monde se rappellera de cette réunion à laquelle a assisté, aux côtés de Sa Majesté, l’actuelle candidate aux présidentielles américaines, Mme Hillary Clinton, pour la présentation du « Plan Solaire Marocain » à Ouarzazate. L’objectif annoncé était clair : 9 milliards de Dollars pour construire 2000 MW d’Energie Solaire à l’horizon 2020.
Avec l’inauguration de la première unité de la première phase de ce plan la semaine dernière, ce sont finalement 160 MW qui viennent d’être officiellement mis en exploitation et 350 MW qui sont actuellement en construction. La puissance installée actuellement en fait la 8éme plus large installation Solaire au niveau mondial.

Même si nous sommes un peu loin d’atteindre l’objectif tracé lors de la réunion de présentation en 2009, l’on peut dire aujourd’hui que la vision stratégique était parfaite. Le PSM nous a assuré une place de choix et une visibilité internationale. En supposant donc que la construction des deux nouvelles unités (Noor II et III) se passe sans incidents majeurs, nous aurons 510 MW de capacité CSP (Thermique) sur le seul site de Ouarzazate à l’horizon 2018. Avec une telle capacité, et si aucun autre projet CSP n’est lancé entre-temps, Ouarzazate sera effectivement la plus grande centrale de technologie CSP dans le monde.
Nous pouvons certainement nous réjouir et célébrer cette réalisation unique dans notre région. Mais nous ne devons tout de même pas oublier les quelques difficultés ou bémols en cours de route:

Les Délais : Il nous aura quand même fallu 6 ans pour mettre en service la première unité du plan solaire.Le retard est dû principalement à la complexité du montage financier imaginé et réalisé par MASEN afin de réduire le cout du financement en utilisant de la dette concessionnelle tout en essayant de garder une clause de préférence nationale. Si MASEN arrive effectivement à mettre en service les deux projets lancés depuis quelques mois (400 MW Hybride PV-CSP & 160 MW PV) à l’horizon 2020, ce qui est loin d’être acquis vu la complexité de la procédure utilisée, cela ne constituera qu’un taux de réalisation de 53 % de l’objectifde 2000 MW en 2020.

La Technologie : Lors du lancement du Plan Solaire Marocain, le CSP (solaire thermodynamique) était la technologie la plus adaptée aux grandes centrales connectées au réseau de transport et son cout était similaire à celui du Photovoltaïque. La baisse vertigineuse du prix du photovoltaïque ces 5 dernières années a cependant changé la donne. Le PV est aujourd’hui, et de loin, la technologie solaire la plus compétitive et la plus simple à mettre en œuvre que ce soit de manière distribuée (petites installations) ou à grande échelle.Malgré l’énorme effort d’optimisation financière réalisé par MASEN, le cout du kWh reste assez haut à 1,5 DH comparé au PV qui, sans stockage, aurait été autour de 0,5 DH/kWh.

La Création d’emplois :Vu la complexité de la technologie CSP, les opérateurs privés nationaux, même s’ils n’osent pas le dire très fort, sont quasi-unanimes :Noor I n’a pas eu d’impact réel sur leurs carnets de commandes. Il n’aura certainement eu aucun effet sur leurs compétences en matière de technologies de l’énergie solaire. Seules quelques entreprises de génie civil et de montage ont pu réellement bénéficier de contrats directs auprès du contractant principal. Le taux d’intégration local de 32%, communiqué par MASEN pour Noor I,n’est peut-être pas un indicateur de création d’emplois.
Rappel : Pourquoi le lancement d’un Programme Solaire Marocain ?
Comparons d’abord quelques chiffres (approximatifs) relatifs au cout de l’investissement dans les moyens de production d’électricité aujourd’hui :
Charbon : $1,2/Watt +Coût du Combustible / Disponible jusqu’à 95%
Eolien : $1,3 /Watt — Disponible 35% à 60%
Solaire PV : $1,5 / Watt — Disponible 25% à 35%
Solaire CSP : $4/Watt — Disponible jusqu’à 50% (Avec Stockage)
Lorsque le PSM a été lancé en 2009, le cout estimé des installations solaires, (PV comme CSP) était autour de$4,5/Watt … d’où le chiffre des $9 Milliards pour l’objectif 2000 MW.
Avec un investissement d’une telle importance, il me parait prudent de dire que les principales raisons justifiant cet investissement colossal étaient les suivantes :
1. Limiter progressivement notre dépendance vis-à-vis du prix du combustible (Charbon et Fioul importés). Ces combustibles sont liés aupétrole dont le prix avait connu de grandes fluctuations en2008 ($145/Baril)et 2009 ($32/Baril).

2. Créer un maximum d’emploisà haute valeur ajoutée pour les Cadres, Ingénieurs et Travailleurs évoluant au sein d’entreprises Marocaines ou installées au Maroc.
La question de fluctuation du prix de pétrole reste encore aujourd’hui une réalité contre laquelle nous ne pouvons rien, puisque nous ne produisons pas de pétrole chez nous. Cependant, la question de la valeur ajoutée et la création d’emplois doivent absolument être débattues.

Le modèle choisi, les entreprises Marocaines et la création d’emploi

Jusqu’à date d’aujourd’hui, pour le développement des capacités solaires du PSM,MASEN a privilégié le modèle « Appel d’Offres avec Pré-qualification »aboutissant à un PPA (Contrat d’achat d’électricité) sur 25 ans. On peut résumer ce modèle dont le processus et long et laborieux dans les principales étapes suivantes :
1. Choix du site du projet et de la technologie à mettre en œuvre.
2. Appel à Manifestation d’intérêt pour le site et la technologie.
3. Pré-qualification d’entreprises capables de financer, de construire et de gérer des projets (références) similaires… Ces groupements doivent souvent inclure, en plus de l’exploitant, un EPC (Entreprise capable d’assurer l’Ingénierie de détail, les achats et la construction) dont l’expérience permet de conforter les banquiers quant au risque lié à la construction.
4. Préparation de l’avant-projet détaillé par MASEN et ses consultants
5. Remise du Dossier d’Appel d’Offres aux entreprises pré-qualifiées
6. Remises des offres et alignement technique des soumissionnaires pré-qualifiés
7. Remise et évaluation des offres financièresdes soumissionnaires techniquement retenus
8. Choix de l’entreprise ou du groupement ayant proposé le tarif du kWh le plus bas
9. Signature d’un PPA entre MASEN et l’adjudicataire
10. Signature d’un PPA entre l’ONEE et MASEN
11. Préparation des documents et clôture financière (Accord final des banques pour financer le projet)
12. Lancement des travaux de construction
13. Exploitation de l’unité par l’adjudicataire pendant les 25 ans prévus par le PPA
Le Positionnement des Entreprises Nationales dans le Programme
Nul besoin d’expliquer qu’au Maroc, le tissu économique est constitué d’un grand nombre de PME qui travaillent de manière autonome et peu intégrée. Nous pourrions discuter de l’efficience ou non de ce modèle, mais là n’est pas l’objectif de ce document.
Force aussi est de constater que nous n’avons pas aujourd’hui, plus de deux ou trois entreprises nationales capables de prendre en charge des projets industriels sous contrat clé-en-main ou EPC (Engineering, Procurement& Construction). Un contrat EPC suppose la prise en charge totale de la réalisation d’un projet (incluant les risques de construction) sur l’ensemble des métiers (Ingénierie de détail, Achats d’équipements, Génie Civil, Electricité, Plomberie, Etc.).
Les étapes à franchir avant l’adjudication de nos projets solaires, telles que décrites plus haut, permettent de comprendre pourquoi les entreprises nationales sont souvent disqualifiées dans ce type de projets d’envergure. Le fait est que, nos entreprises n’ont ni les moyens financiers, ni humains, ni la patience d’investir des années de travail et des millions de dollars sans être sures de se voir adjuger rapidement des projets d’une telle taille.
Lorsqu’un EPC (qui soumissionne au projet) vient d’un autre pays, il ramène presque toujours avec lui son réseau de sous-traitants avec lesquels il a une relation à long terme. Ces sous-traitant l’auront d’ailleurs aidé à formuler son offre et permis de gagner l’appel d’offres. C’est pour cette raison que seules les entreprises de génie-civil et de montage arrivent à se placer en tant que contractants directs. La construction et le montage sont des métiers qui nécessitent une connaissance accrue de la main d’œuvre et des matériaux locaux. Ces entreprises sont donc compétitives presque naturellement. Les autres corps de métier, nécessitant des compétences plus techniques et à plus forte valeur ajoutés sont,par contre, hors de la portée des entreprises locales qui arrivent trop tard lorsque l’adjudicataire est connu.
En conclusion, puisque c’est le modèle IPP avec Pré-qualification qui a été choisi pour mener les projets solaires à terme, nos entreprises ont été jusqu’à date obligées de se limiter à un rôle de partenaire financier pur ou celui d’un sous-traitant potentiel. La majorité préfère s’abstenir.
Le Taux d’Intégration Locale et la Création d’emplois
Le processus d’appel d’offres explique aussi pourquoi MASEN, et plus récemment l’ONEE (Dans son programme éolien intégré) tiennent beaucoup aux clauses dites d’«Intégration locale » dans leurs appels d’offres. Pour Noor I de Ouarzazate, MASEN avait exigé qu’un minimum de 30% des couts de constructions du projet Noor I soient réalisés par des entreprises nationales.Un taux réalisé de 32% a été annoncé.
Il n’existe pas encore aujourd’hui d’étudede retombées sur l’emploi du projet Noor I et encore moins pour Noor II et III. Pour ces deux unités en construction actuellement, l’investisseur Saoudien ACWA a dû limiter le rôle de l’espagnol SENER à la partie essentielle de l’ingénierie et confié le reste des travaux (EPC) à la société chinoise SEPCO III. Tout cela afin de réduire les couts au maximum ce qui est bien compréhensible.
Dans l’absence d’études ou d’enquêtes, et d’après les entreprises nationales basées à Casablanca, Rabatet autres grandes villes Marocaines, les clauses d’intégration locale n’ont pas, au moins pour le complexe solaire Noor I, II et III, eu l’effet escompté en termes de commandes et de création d’emplois à long terme.
Qu’est ce qui permettrait de positionner plus d’entreprises nationales et de créer plus d’emplois dans le secteur des énergies renouvelables au Maroc ?
Nous pouvons être fiers aujourd’hui de voir que notre pays a assuré une visibilité auprès des développeurs de toutes tailles sur le marché international en réalisant ce qui sera la plus grande centrale CSP au monde à l’horizon 2018. Plusieurs de ces développeurs (surtout de petite et moyenne taille) sont venus s’installer dans notre pays depuis 2010 suite au multiples annonces du Royaume concernant les ENR. Aujourd’hui, plusieurs pistes méritent d’être explorées et débattues afin de faire travailler tout ce monde. Plus ces entreprises sont rentables, plus aptes seront-elles à investir et à créer des postes d’emploi stables. C’est pour cela que les entreprises nationales doivent être notre priorité. Voici quelques propositions concrètespour les soutenir dans un esprit « Win-Win »avec MASEN et/ou l’ONEE:
1. En parallèle avec les grands projets, lancer quelques IPP de taille plus abordable (Autour de 20MW) et réduire les critères de pré-qualification afin de donner aux petits et moyens développeurs qui ont décidé de s’installer au Maroc depuis 2010 l’opportunité de réaliser des IPP, de faire travailler les entreprises locales, et de se positionner pour les grands projets dans l’avenir.

2. Lancer des Appels d’offres de type EPC avec contrat d’exploitation. L’EPC simple, à l’opposé de l’IPP, permettrait aux dizaines d’entreprises électriques locales qui ne désirent pas ou ne peuvent pas s’impliquer dans le financement de développer leurs compétences et références dans la conception et l’installation de centrales photovoltaïques.

3. Au lieu de continuer à faire de MASEN un simple véhicule de subvention, de financement, et de suivi des réalisations des projets solaire (ou renouvelables en général), nous pourrions capitaliser sur son expertise dans les montages financiers en y ajoutant une expertise réelle en gestion de ces infrastructures électriques. Cela pourrait lui permettre aussi, un jour, de jouer un rôle de locomotive des énergies renouvelables en Afrique et d’y mener les entreprises Marocaines comme le fait l’ONEE pour l’électrification Rurale depuis quelques années.

4. Donner plus de liberté aux soumissionnaires quant au choix de la technologie à utiliser afin de réduire les risques liés au choix technologiques. Le principal enjeu des énergies renouvelables ces 10 prochaines années réside dans la capacité des opérateurs des réseaux à gérer l’intermittence des source d’énergies solaire et éolienne. Il faudra donc diversifier l’investissement dans ces moyens

5. Accélérer la libéralisation du secteur en créant l’instance de régulation prévue par le projet de loi 48-15.

6. Appliquer la loi 58-15 et le décret sur le raccordement des unités de production au réseau MT.

Karim Chraïbi, Expert en Energie, Cadre réglementaire, Investissements, énergies renouvelables


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